Chaque année, les fonds récoltés à Solidays permettent à Solidarité Sida de mettre en place des actions de prévention et de soutenir les malades dans plus de 20 pays. Plusieurs fois par an, l’équipe du service Programmes Santé & Solidarité de Solidarité Sida partent en mission pour rencontrer les associations partenaires soutenues. Avril et Florent reviennent d’une mission au Niger. Ils nous racontent.

Bonjour Avril et Florent, vous revenez d’une mission au Niger, pouvez-vous commencer par nous expliquer quelle est la situation épidémiologique au Niger ?

Florent : Le problème c’est que les chiffres officiels ne reflètent pas la réalité.  Aujourd’hui, officiellement la prévalence au Niger est inférieure à 1%, or la réalité n’est absolument pas celle-là puisqu’on se rend compte, à travers les dépistages notamment, que la prévalence est beaucoup plus importante. L’association que nous soutenons dépiste 3000 personnes par an et constate un taux de prévalence de 10%. Officiellement, la situation épidémiologique ne semble pas si inquiétante, mais la réalité est toute autre. Concernant la couverture en trithérapies, les chiffres sont encore trop faibles : seuls 30% à 40% des personnes séropositives sont sous traitement. Enfin, il y a le cas de la population dite « générale » et puis le cas des populations les plus vulnérables où les taux de prévalence sont extrêmement importants. C’est le cas chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et les travailleuses du sexe par exemple. Là encore, c’est très difficile d’avoir des chiffres réels.

Quel était le but de cette mission ?

Avril : Nous avons rencontré Mieux Vivre avec le Sida (MVS), un partenaire que Solidarité Sida soutient depuis une quinzaine d’années. Il s’agit d’un centre de santé communautaire qui offre du dépistage anonyme, volontaire et gratuit et une prise en charge adaptée aux patients dépistés séropositifs.

Florent : Cette mission répondait à un double objectif : le premier était de faire du suivi « classique » de projet auprès d’un partenaire que nous soutenons depuis très longtemps et que nous n’avions pas pu rencontrer pour des raisons de sécurité. Ainsi nous avons pu voir concrètement ce que Solidarité Sida finance. Le deuxième objectif visait à faire un petit diagnostic du fonctionnement de la structure car MVS faisait partie des candidats potentiels à l’intégration du « Programme Autonomisation »*. L’association n’ayant jamais été visitée, il était important, avant de nous engager avec eux pour 3 ans dans un programme intensif, de nous assurer du potentiel de MVS pour progresser grâce à l’accompagnement du programme.

Avez-vous eu confirmation de vos pressentiments ?

Florent : Nous avons été frappés et admiratifs du travail que MVS réalise. Par exemple, le médecin, qui est un ancien Ministre de la Santé, est un homme remarquable. Il a voué sa vie à la lutte contre la maladie. Il soigne 6 jours sur 7 les patients avec une passion et un dévouement admirables.

Avril : Tout à fait ! Nous avons assisté à plusieurs activités de prise en charge. On a retracé le parcours du patient : dépistage, annonce du statut, test sanguins réalisés au niveau du laboratoire et accompagnement médical et social. Nous avons ensuite accompagné l’équipe sociale sur des visites à domicile. En effet, certains patients bénéficient d’Activités Génératrices de Revenus (AGR) afin de reprendre confiance en eux à travers une activité professionnelle qui leur permet de s’assumer financièrement et de contribuer à la vie du foyer malgré la maladie. Le samedi, nous avons assisté à un groupe de parole sur l’observance du traitement. C’était très intéressant car basé sur leur vie quotidienne et adapté à leur vécu. Par exemple : « quand on n’a pas de portable ou de réveil, comment peut-on prendre son traitement à heure fixe ? » Il faut prendre des repères temporels tels que les heures de prières ou l’heure où les enfants partent à l’école. Dans un deuxième temps, nous avons échangé avec un groupe de HSH sur leur vie quotidienne, les discriminations qu’ils rencontrent, les difficultés d’accès aux soins.

Comment fonctionne MVS ?

Avril : Il y a une vingtaine de salariés. Ils ont une énorme charge de travail puisqu’ils ont 3000 patients par an et plus de 1100 patients sous ARV avec un seul médecin, une équipe sociale composée de 5 personnes, un laborantin et un pharmacien. Une seule personne assure donc tous les dépistages et bilans sanguins. À titre d’exemple, à l’hôpital public, ils n’ont pas forcément de personnel qualifié et c’est donc le laborantin de MVS qui doit apporter les échantillons jusqu’à l’hôpital pour réaliser lui-même les examens car à l’association ils n’ont pas tous les appareils nécessaires. Au niveau administratif, il y a une personne en charge de l’administration et des finances et le Directeur qui coordonne le centre et les différentes activités.

Quel projet est financé par Solidarité Sida ?

Florent : MVS n’a pas plusieurs projets en tant que tel mais un centre de dépistage et de prise en charge. Par ailleurs, ils ont un programme à destination des populations clés. Nous finançons donc le centre de dépistage et de prise en charge. Nous ne finançons pas les traitements ARV, car le Fonds Mondial est dédié à cela, par contre Solidarité Sida vient en soutien sur tout le volet prise en charge. Il s’agit donc à la fois du soutien à la rémunération des salariés, d’une partie des frais de structure et du paiement d’ordonnances. C’est finalement tout ce qui n’est pas pris en charge par l’État à travers le Fonds Mondial : les bilans sanguins, le traitement des infections opportunistes et tous les effets secondaires qui peuvent se développer lorsqu’on est sous traitement. De surcroit, les personnes issues des populations clés peuvent présenter d’autres IST, en plus du VIH. Leur prise en charge est également soutenue par Solidarité Sida.

 

Cela devait être assez émouvant de les rencontrer en vrai après tant d’années de collaboration ?

Avril : L’équipe était en effet très contente que l’on soit là car nous faisons partie de leurs partenaires historiques. C’est également une reconnaissance du travail qu’ils font au quotidien. Pouvoir mutuellement mettre un visage sur les personnes permet de rendre les relations plus humaines.

Florent : Ce qui est toujours saisissant quand nous partons en mission c’est qu’il y a toujours des moments assez émouvants. Quand nous avons fait la visite à domicile, nous avons rencontré une personne qui a été prise en charge par MVS il y a 15 ans. À l’époque, elle est venue au centre de MVS pour faire un dépistage et a été diagnostiquée séropositive. Ils lui ont fait un bilan des CD4 (moins on a de globules blancs, plus le virus est présent dans le corps) et il s’est avéré qu’elle était à 1 de CD4, il ne lui restait que quelques jours à vivre. Elle a eu la chance d’être dépistée et d’être ensuite prise en charge et mise sous traitement. Aujourd’hui, elle est observante depuis plus de 15 ans, elle a une charge virale dite indétectable : on ne détecte plus le virus dans son corps et ses globules blancs sont revenus à un niveau équivalent à celui d’une personne séronégative. MVS lui a également attribué une AGR qui lui a permis de développer une association de femmes au sein de sa communauté en périphérie de Niamey. Quand on entend une personne en pleine forme, très souriante, pleine d’ambitions, qui a même fait un film sur le VIH avec des gens de son village et qui est pourtant passée à deux doigts de la mort, on réalise que si elle a pu être prise en charge par MVS c’est en parti grâce au soutien de Solidarité Sida depuis 15 ans. Nous voyons dans ces moments sincères et authentiques une traduction concrète de notre action au service des malades.

Il y a eu un autre grand moment lors de cette mission. Le samedi après-midi, nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec un groupe de HSH. Quand ils sont arrivés le matin pour le groupe de parole, ils étaient très fermés parce qu’ils étaient en représentation, dans un rôle, devant le reste de la population présente. Après le déjeuner, nous avons pu échanger avec eux à l’écart, ce fût un moment à la fois très léger et très dur. Ils se sont sentis très à l’aise avec nous et nous les avons réellement découverts. Nous avons énormément parlé, y compris de choses très intimes. Nous avons eu des fous rires tout en parlant aussi de choses assez dramatiques. Ce sont des personnes qui, en raison de leur orientation sexuelle, vivent un enfer. Ils sont dans un pays à 95% musulman, où les traditions sont extrêmement présentes et où clairement l’homosexualité est complètement rejetée par l’État, les services publics, les personnels de santé et les familles. Ce sont des personnes issues de milieux très pauvres qui ne travaillent pas et qui sont obligées de vivre dans leur famille où ils font l’objet de violences, parfois même de viols. Ils ne rêvent que de rencontrer un homme blanc qu’ils voient comme le Prince Charmant qui les « sortira de l’enfer ». Nous étions face à des personnes de notre âge qui, sous couvert de légèreté, décrivaient une réalité où ils sont constamment obligés de se cacher et qu’ils rêvent de pouvoir fuir. Même si nous savons que, par exemple, dans les zones rurales en France, l’homosexualité est aussi stigmatisée, il n’empêche qu’en France, un couple homosexuel peut s’aimer, vivre ensemble grâce aux lois qui les protègent. Ce n’est pas le cas au Niger.

Avril : Ce fut en effet un moment très perturbant car nous avons énormément ri alors que le fond de la discussion était très lourd.

Envisagez-vous de les faire venir à Solidays pour qu’ils voient comment la récolte de fonds est opérée ?

Avril : Le Directeur et un des coordinateurs du programme sont venus en 2016. C’était l’une des conditions pour qu’ils intègrent le Programme Autonomisation. Ils seront probablement de nouveau présents en 2018.

Florent : Nous n’étions jamais allés les voir mais eux sont déjà venus plusieurs fois. C’est le cas pour certains partenaires qui sont dans des pays comme le Mali, le Niger, le Nigeria où nous ne pouvons pas aller pour des raisons de sécurité. Le fait de pouvoir les faire venir à Solidays est un moyen de pouvoir les rencontrer, mais il s’agit à chaque fois d’une ou deux personnes. Elles représentent la structure certes mais ce n’est pas pareil que de rencontrer toutes les personnes de l’équipe.

Que retenez-vous de cette mission ?

Florent : Une fois de plus, nous nous sommes rendus compte que si les associations partenaires que nous soutenons n’existaient pas, la situation sanitaire des personnes les plus vulnérables serait dramatique car elles n’iraient pas se faire dépister et ne seraient pas prises en charge par les services publics de santé. Nous travaillons au quotidien à distance avec plus de 80 partenaires associatifs. Voir concrètement à travers une mission que notre travail, mais aussi celui de toutes les équipes de Solidarité Sida, des bénévoles, des prestataires, de toutes les personnes qui à un moment apportent leur pierre à l’édifice, génère des fonds qui permettent d’accompagner les personnes et les malades qui en ont le plus besoin, c’est toujours très valorisant.