Actrices de prévention pailletées et hautes en couleurs, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence célèbrent une Messe à Solidays depuis la première édition du festival et participent 1 fois tous les 2 mois à une Maraude dans le Marais avec les bénévoles Prévention de Solidarité Sida. Sœur Rose et Sœur Maria Cullass nous racontent la naissance de leur mouvement et l’interaction qui existe entre les 2 associations.
Bonjour mes Soeurs, pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Sœur Rose : Je m’appelle Sœur Rose de la Foi-Fesseuse d’anges-Gardienne des Muses belles et putes-Protectrice des sans-voix et des aphones, dite Le Minaret du Couvent. Je suis une Sœur de la Perpétuelle Indulgence depuis une dizaine d’années et j’ai 27 ans.
Sœur Maria Cullass : Moi je suis Sœur Maria Culass dite Epouse Touchard « Eu là l’Judas »… et cela finit toujours par, dite La Veloutée ou L’embrayage, la Pédale de Gauche (Rires). Je suis Sœur depuis 5 ans et j’ai 60 ans.
Pouvez-vous nous expliquer qui sont les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence ?
Sœur Rose : Nous sommes un ordre pauvre, agnostique et dérisoire de folles radicales. Tout a commencé en 1979 à San Francisco le dimanche de Pâques. Des amis se faisaient chier, ils avaient des robes de bonnes sœurs dans leurs penderies et ils se sont dit : « Tiens, si on allait faire les connes dans le quartier gay. ». À l’époque, dans les bars gay, il fallait être viril, avoir un pantalon de cuir, un débardeur blanc et une grosse moustache. C’était une image très stéréotypée, limitante et oppressante. Ils sont sortis dans la rue avec leurs grosses barbes, leurs tenues de bonnes sœurs, leurs voiles noirs et ont débarqué dans les bars. Et là, au lieu de se marrer comme ils s’y attendaient, les gens sont venus les voir en se disant : « Chouette, des bonnes sœurs qui nous ressemblent, à qui on va pouvoir raconter nos histoires, nos problèmes… » et il s’est passé un vrai truc dans l’échange avec les gens, une réelle interaction. En quelques mois, les Sœurs ont trouvé le nom et elles ont commencé à sortir, à militer, à être présentes sur des manifestations. Leur première manif fut contre l’assassinat de bonnes sœurs par la CIA au Salvador, et la suivante suite à l’accident de Three Mile Island, qui est le plus gros accident nucléaire civil aux États-Unis. Deux sujets très différents mais avec la volonté d’être un ordre dans la cité, conscient de ce qui s’y passe, à son service et de ses humains.
Sœur Maria Cullass : Pour préciser, les bonnes sœurs assassinées au Salvador étaient des sœurs catholiques, ce n’était pas des Sœurs du mouvement. Les Sœurs sont donc dès le début un mouvement plutôt activiste, qui lutte pour les droits et contre toutes les formes de discrimination.Les gens sont venus demander de l’aide aux Sœurs. Il faut avoir en tête que dans les premières années, on ne savait pas trop ce qui se passait et cela générait beaucoup de problèmes. Par exemple, l’Église refusait de procéder aux obsèques des gens qui mourraient du sida. Dans les premières années de l’épidémie, les relations avec les familles des disparus pouvaient être violentes. Il arrivait qu’un compagnon revienne des obsèques de son ami et ne puisse plus entrer dans l’appartement, les serrures ayant été changées. Il y avait même des cas où les familles « récupéraient » les corps des personnes qui étaient décédées. Ce qui fait qu’il n’y avait pas pour les compagnons, les amis, la possibilité de faire leur deuil. C’est face à ces situations que la communauté a contacté les Sœurs et leur a demandé d’organiser des cérémonies. C’est comme ça que sont nées ce que nous appelons les Cérémonies des Lumières. C’est également à cette période qu’elles ont créé le premier flyer de prévention le « Play fair, play sex » où elles disaient : « On ne sait pas très bien ce qui se passe, mais il y a un truc, donc faites attention. »
Il y a donc eu assez vite un message de prévention ?
Sœur Rose : En effet, elles étaient au premier rang pour voir l’épidémie du sida, qui à l’époque n’avait même pas de nom, arriver. On ne savait pas ce qui se passait, les gens se retrouvaient avec des taches sur la peau et mouraient. Comme les Sœurs étaient principalement des hommes gay (la 1ère Sœur femme à rentrer dans l’ordre a été Sœur Mysteria en 1984), ils étaient aux premières loges : des Sœurs mouraient, leurs amis, leurs amants … donc oui, elles ont tout de suite réagi alors que personne ne réagissait. C’est cela qu’il faut remettre en perspective, on est à l’échelle d’une ville où les gens commencent à tomber comme des mouches et où ailleurs, on n’en parle pas. Reagan va attendre la fin des années 80 pour mentionner le mot « sida » en public. On va passer quasiment une décennie entière avec des centaines de morts par jour et les pouvoirs publics vont mettre énormément de temps à réagir parce qu’au début on a l’impression que ça ne touche que les pédés, les putes et les toxs.
Quand et comment les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence sont-elles arrivées en France ?
Sœur Rose : En 1990, trois Sœurs de San Francisco, dont Sœur Vicious, font un petit tour d’Europe avec leurs robes dans leurs valises et s’amusent à sortir dans les boîtes gay de Londres, Berlin et Paris. À Paris, elles appellent la rédac du seul magazine gay de l’époque, Gai Pied, et discutent avec le seul journaliste de la rédaction qui parle à peu près anglais. Il connaît les Sœurs car il les a vues lors d’un voyage à San Francisco quelques années auparavant. Ce journaliste donne rendez-vous aux Sœurs devant l’église de la Sorbonne et arrive avec trois copains la gueule « tartinée », les Sœurs leur collent leurs cornettes sur la tête et c’est comme cela que les Sœurs sont nées en France. Le Couvent de Paris va devenir un couvent à part entière en 1991.
Et comment les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence et Solidarité Sida se rencontrent ?
Sœur Rose : La rencontre originelle a disparu dans les limbes de l’histoire. Ce que l’on sait c’est que les Sœurs sont présentes à Solidays depuis la toute première édition du festival en 1998 avec la Messe et que nous n’avons jamais loupé une édition. Le vrai cœur de la collaboration entre Solidarité Sida et les Sœurs va commencer en 2009-2010. C’est parti d’un constat qu’il y avait une possibilité de jonction des efforts entre d’un côté le savoir-faire des Sœurs et de l’autre les ressources de Solidarité Sida. C’est comme ça que sont nées les Maraudes dans Le Marais. À l’époque, Solidarité Sida faisait des stands de prévention, parfois dans des soirées ou sur des concerts, mais ce n’était pas encore très développé. Il y avait une volonté d’aller encore plus au contact des gens et en même temps un besoin d’apprentissage. L’équipe Prévention a toujours été une équipe plutôt jeune et tu ne pouvais pas les balancer dans la rue au hasard avec des capotes et des godes pour aller faire de l’éducation sexuelle auprès des gens. C’est comme ça que nous avons décidé d’allier les forces entre nos deux assos. Nous avons commencé à créer un vrai dialogue, un vrai échange sur les manières de faire de la prévention, de parler de sida, de sexualité et cela a eu une influence énorme dans nos deux associations. C’est notable dans les évolutions de l’expo Sex In The City. Solidarité Sida a effectué un réel retravail en écoute avec plein d’associations de terrain. De notre côté, cela nous a permis de réajuster notre approche, de l’ouvrir encore plus, de ne pas rester sur des acquis. Le fait d’avoir une équipe Prévention aussi jeune, aussi bouillonnante d’énergie permet de rester au courant, de savoir quelles sont les nouvelles conneries à la mode quand on a 20 ans (Rires).
Sœur Maria Cullass : Je pense qu’il s’agit d’une réelle interaction. Lorsque nous nous retrouvons, nous avons un corps d’action commun avec un regard à l’autre très partagé. Depuis 2 ans, nous avons réintroduit d’autres choses comme la prise de risques en matière d’usage de drogues. Les bénévoles de Solidarité Sida n’avaient pas cet aspect dans leurs échanges, nous si, car quand nous faisons une écoute ou un partage, nous passons par là. C’est parfois même notre porte d’entrée. Moi je sais que quand je suis rentrée chez les Sœurs, j’étais « capotes », aujourd’hui ma façon d’entrer en lien avec l’autre n’est plus du tout la prévention, car les gens ne veulent plus qu’on leur parle frontalement de capotes. Aujourd’hui, on parle de désir, de plaisir, de consentement. Nous proposons par exemple des kits « Roule ta paille ». Ce sont des petites feuilles à usage unique qu’on distribue aux gens dans des petits carnets et qui leur permettent de sniffer de la façon la plus « secure » possible. Une fois utilisée, ils la jettent et ne vont pas la passer à leur copain ou leur copine. Ce sont des papiers qui ne sont pas invasifs au niveau des cloisons nasales et les encres sont bio. On parle de tout cela avec les gens car nous ne sommes pas là pour dire ce qui est bien et ce qui est mal. En ouvrant le dialogue ainsi, on arrive à la prévention. En parlant avec des bénévoles Prévention de Solidarité Sida, nous avons pris conscience qu’arriver avec le « tout Fémidon » ou le « tout capote », cela ne fonctionnait plus. Avec Solidarité Sida, nous partageons nos expériences et elles nous font évoluer. Au Couvent, nous avons beaucoup de femmes qui sont rentrées et cela à emmener d’autres postures, d’autres regards. Nous nous nourrissons tous dans la complémentarité.
Comment est l’accueil sur les Maraudes ?
Sœur Rose : Il est excellent. Pas à 100% bien entendu, mais l’accueil est globalement positif. Quand on débarque, les gens sont contents de nous voir, on fout des paillettes et c’est le Bronx. Les bénévoles Prévention de Solidarité Sida ont une façon d’aborder les gens qui est parfois très franche, mais en douceur. C’est toujours assez beau de voir les interactions qu’ils réussissent à développer.
Sœur Maria Cullass : Une chose que j’ai entendue à plusieurs reprises, c’est qu’à une Maraude où nous sommes tous ensemble, il y a quelque chose de différent. Quand tu es make-upée, que tu as ta cornette, les gens chopent ton regard et cela favorise le fait de rentrer en lien. Il y a une vraie osmose et une vraie complicité entre les Sœurs et les bénévoles Prévention de Solidarité Sida. C’est festif et ça fonctionne bien !
Évidemment, on vous retrouve à Solidays en juin plus pailletées que jamais ?
Sœur Rose : Plus pailletées et plus déterminées que jamais avec encore une nouvelle messe. L’année est intense entre l’explosion des violences policières et l’élection pestilentielle, plus que jamais il va falloir faire des stocks de solidarité à Longchamp.
Sœur Maria Cullass : Il y aura eu les élections présidentielles entre temps et cela peut peut-être changer sérieusement la donne. Cela nous donnera encore plus d’éléments pour être incisives, mordantes et poil à gratter. Solidays est un rendez-vous important. Chaque année on voit ces jeunes, on en reconnait certains et c’est toujours une réelle émotion.