Il était bénévole Prévention à Solidarité Sida depuis 4 ans quand il est devenu également bénévole au Genepi. Kévin nous explique comment la collaboration entre ces 2 associations s’est mise en place et les raisons de son implication.

Bonjour Kévin, peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Kévin, j’ai 26 ans et je viens de finir mes études à Sciences-Po. Je prépare les concours de la fonction publique (l’ENA, les assemblées parlementaires etc…) et je travaille comme assistant de justice au Conseil d’Etat. Et je suis bénévole prévention à Solidarité Sida depuis 2009.

Tu as également travaillé avec le Genepi. Peux-tu nous parler de cette association ?

J’ai été bénévole pendant 4 ans au Genepi. C’est une association étudiante qui intervient en prison et dans les débats sur la prison et la justice. Elle a été créée en 1976 à l’initiative du gouvernement. C’est un peu un cas unique. On sortait de quelques années de grandes mutineries dans les prisons françaises, notamment à la suite de l’incarcération de militants ayant participé aux mouvements de Mai 68 où des personnes politisées ont été enfermées dans les prisons françaises et se sont rebellées à plusieurs reprises pour dénoncer les conditions d’emprisonnement indignes. C’était de la survie. Le gouvernement s’est donc dit qu’il fallait trouver une solution pour ces prisons qui étaient des pétaudières et risquaient d’exploser. L’idée à la base était de faire rentrer les étudiants de HEC, de Normal Sup, de Sciences Po dans les prisons pour « que les jeunes qui étaient en train de réussir leur vie tendent la main à ceux qui étaient en train de louper la leur » (pour reprendre les mots du fondateur, le conseiller de Valéry Giscard d’Estaing, Lionel Stoléru). Depuis, cela a bien changé. Le Genepi s’est progressivement émancipé de cette tutelle dans laquelle l’association ne se reconnaissait pas, notamment parce que la politique sécuritaire ne correspondait pas à ses attentes. Pour le Genepi, il n’était pas question de faire de l’humanisme paternaliste en sauvant les détenus, il devait s’agir d’un échange, d’égal à égal entre prisonniers et bénévoles. Progressivement, le Genepi a pris son indépendance en prenant des positions de plus en plus fermes contre l’administration quand l’association estimait qu’il y avait des dérives sécuritaires ou autre. C’est maintenant une association qui repose sur trois piliers :

  • L’intervention en détention, qui reste une partie très importante, sous la forme d’ateliers pour développer les savoirs et les échanges. L’idée n’est pas de faire des cours parce que nous ne sommes pas professeurs, que nous ne sommes pas là pour pallier les absences de l’administration pénitentiaire. Que ce n’est pas parce qu’elle n’a pas d’argent pour recruter des professeurs ou qu’elle refuse de le faire que nous sommes là pour les remplacer. Il va s’agir d’ateliers de soutien scolaire, de théâtre, de peinture… pour permettre aux détenus d’avoir une petite respiration de temps en temps et pour échanger avec eux.
  • La formation de nos membres puisque le Genepi insiste pour former ses bénévoles et ne pas laisser l’administration le faire. C’est à dire qu’il y a des règles que nous connaissons pour rentrer en prison, mais il y a aussi des choses qui ne sont pas des règles, qu’on essaie de nous imposer et que nous refusons. Le Genepi forme ses bénévoles à dire quelles sont les limites, ce qu’ils veulent faire ou ne pas faire, sur comment réagir face à telle ou telle situation et à essayer de développer leur propre rapport à l’incarcération. La formation consiste aussi à apporter aux militants des clés de réflexion sur le champ prison/ justice.
  • La sensibilisation du public et la réflexion sur le champ prison/ justice. L’idée est d’avoir une réflexion vraiment indépendante. Nous sommes de jeunes citoyens, la justice en France est rendue au nom du peuple français, nous sommes le peuple français, nous avons un point de vue sur la prison, sur la justice et nous avons des choses à dire et à partager avec la société.
Comment a commencé la collaboration entre Solidarité Sida et le Genepi ?

J’ai la chance d’être à la fois bénévole Prévention à Solidarité Sida et membre du Genepi et la collaboration entre les deux associations est née en 2013. J’étais l’un des responsables du groupe intervenant à Fleury-Mérogis, qui comprend une maison d’arrêt des femmes où il y a notamment de jeunes mineures qui ont entre 13 et 18 ans. À l’époque, un certain nombre de jeunes mineures étaient enceintes et l’administration souhaitait faire de la sensibilisation à la contraception, aux questions de santé sexuelle, etc. mais ne se sentait évidemment pas de le faire. Il faut savoir que le médecin de la Maison d’arrêt des Femmes de Fleury-Mérogis est une religieuse. Elle ne souhaitait pas parler de ces questions-là car elle ne se sentait pas compétente pour le faire. L’administration cherchait quelqu’un, ils nous en ont parlé et il s’avère qu’étant à la fois à Solidarité Sida et au Genepi cela m’a permis de faire le lien. J’ai ainsi proposé à l’équipe Prévention de Solidarité Sida d’intervenir avec le Genepi dans les ateliers. Le partenariat s’est mis en place assez simplement et de manière très sympathique puisque le Genepi est une association étudiante avec le même esprit que Solidarité Sida. Les 2 associations ont en commun de savoir parler avec les jeunes, d’être attachées à respecter l’égalité dans les échanges, de croire en la solidarité… Le Genepi a donc formé les bénévoles Solidarité Sida pour qu’ils puissent rentrer en prison, qu’ils sachent à quoi s’attendre, quelles étaient les règles, qu’ils comprennent dans quel milieu ils entraient… C’est très violent de rentrer en prison, ce n’est pas neutre : on subit soi-même une forme d’enfermement, même si ce n’est rien à côté des prisonnier.e.s enfermé.e.s 22 heures sur 24. Nous avons donc préparé les bénévoles qui allaient intervenir avec nous et eux nous ont fait une formation de base, comme en reçoivent tous les nouveaux bénévoles de Solidarité Sida. L’idée était de mettre en place un atelier « à 2 têtes » puisqu’au Genepi nous insistons pour que les personnes détenues soient volontaires. Il est hors de question que cela leur soit imposé : elles sont enfermées toute la journée, elles sont aux ordres de l’administration pénitentiaire qui leur dit toute la journée à quelle heure il faut se lever, se coucher, ce qu’elles doivent faire. Nous, nous ne voulons pas de ça. Donc pour ne pas imposer l’éducation sexuelle et le fait de parler de plaisir, de désir, d’envie, de contraception à ces jeunes femmes qui n’ont pas forcément choisi l’atelier, nous avons décidé de faire parallèlement à l’atelier Solidarité Sida et dans la même pièce un atelier jeux pour celles qui ne voulaient pas parler. Nous ne savions pas comment réagiraient les jeunes femmes qui n’étaient pas demandeuses de cet atelier, mais cela s’est très très bien passé ! Nous avons fait cette action pendant les vacances scolaires, où il n’y a aucune activité en prison, sous forme d’un atelier par jour pendant 3 jours. Chaque jour avait une thématique : la découverte de son propre corps, la contraception, la protection contre les IST et le VIH et le rapport à l’autre. Au début, nous avons eu un peu d’appréhension car nous nous demandions si elles étaient prêtes. La toute première séance, nous avons eu 3 jeunes filles qui ne voulaient pas parler du tout et qui se sont mises à l’autre bout de la pièce… mais qui ont écouté toute la conversation. C’était assez impressionnant de voir les autres très attentives, poser beaucoup de questions malgré la barrière de la langue (beaucoup ne parlent pas français), malgré les tabous culturels qui sont très présents. Quand on vit en prison, on est enfermée avec une quinzaine de mineures qu’on voit tout le temps, qui sont devenues pour certaines des copines et c’est compliqué de parler de sexualité devant elles. Tout s’est finalement très bien passé. Le personnel était également très satisfait de cette intervention au final. Même si quand on rentre à Fleury-Mérogis avec 3 sextoys pour faire des démonstrations de préservatifs et 500 préservatifs, on vous regarde à la grille d’entrée en se disant « Qu’est-ce qu’ils font ? ». Mais comme tout s’est très bien passé, nous avons recommencé ces actions. Nous avons aussi fait un atelier avec des personnes transgenres de la maison d’arrêt des hommes. Elles sont reconnues par l’État français comme étant des hommes dès lors qu’elles n’ont pas été opérées et sont donc enfermées avec les hommes alors que ce sont des femmes qui se reconnaissent femmes. Cet atelier s’est aussi extrêmement bien passé. Depuis le partenariat entre Solidarité Sida et le Genepi dure, et cela fait 4 ans.

Combien d’ateliers organisez-vous par an ?

Cela dépend. Cela peut être assez fluctuant et cela dépend aussi des relations que nous avons avec l’administration pénitentiaire. À la suite des attentats commis en France, nous assistons à une logique ultra-sécuritaire et à un vrai durcissement des conditions d’intervention. Quand on est une personne extérieure, il faut être accrédité et c’est de plus en plus long. Là où nous mettions 2 semaines à avoir les autorisations, il faut maintenant 2, 3 voire 6 mois. Dès lors que l’on fait une critique envers ce que fait l’administration pénitentiaire, et c’est ce que fait le Genepi, vous êtes catégorisé comme n’étant plus un partenaire de l’administration donc on ne vous laisse même plus intervenir. Et l’administration a également de plus en plus d’exigences pour permettre les interventions, comme des surveillants dans les salles d’activités, des rapports sur le comportement des prisonnier.e.s ou encore des caméras, ce que refuse le Genepi qui cesse alors d’intervenir en détention pour ne pas imposer ses règles aux prisonnier.e.s. En résumé, quand cela se passe bien, nous intervenons 2 à 3 fois par an, mais quand c’est tendu, comme c’est le cas actuellement, nous n’intervenons plus.

Qu’est-ce que cela t’apporte à titre personnel d’être bénévole pour ces 2 associations ?

À la base, j’étais compagnon de route d’Act-Up Paris. Quand je me suis un peu éloigné d’Act-Up, je cherchais une association qui reste une association politique. Je pense en effet que le sida est une maladie politique au croisement de toutes nos problématiques actuelles : le rapport entre les pays du Nord et les pays du Sud, ceux qui sont développés, ceux qui sont en cours de développement, les tabous au niveau de l’intimité, ce que la société juge comme étant sain ou malsain, autorisé ou interdit, en se permettant de mettre des étiquettes, des rapports de pouvoir, d’argent et d’ostracisation… J’avais besoin de retrouver une association qui sache parler de ces sujets-là, qui ait conscience de cette dimension politique et qui en même temps sache parler avec les gens. J’ai découvert Solidarité Sida et je me suis engagé comme bénévole Prévention. Quand je suis entré au Genepi, cela faisait 4 ou 5 ans que j’étais à Solidarité Sida. J’avais peur de tourner en rond dans ma manière de faire de la prévention, de ne plus savoir écouter les gens. J’avais besoin de retrouver un engagement différent. Je suis intervenu au Genepi et je pense que c’est le Genepi qui m’a fait revenir vers la prévention. En effet, la 1ère fois que nous avons fait un atelier auprès des jeunes femmes mineures, sans Solidarité Sida, c’était un 25 décembre. Nous sommes rentrés avec une autre bénévole du Genepi et il n’y avait personne dans cette prison. Nous avons rencontré une jeune femme qui était à 8 mois de grossesse, qui était seule, qui avait plein de questions sur sa grossesse et personne pour y répondre. Elle expliquait qu’être enceinte était pour elle son plus grand bonheur car cela lui permettrait de trouver sa place dans sa famille et qu’à 14 ans, c’était important. On sentait bien que de nombreuses questions n’étaient pas claires. Je me suis alors dit que c’était le moment pour que Solidarité Sida et le Genepi se rencontrent car leurs idées sont les mêmes, l’espoir de changer la société à son échelle me semble assez efficace. J’ai vraiment compris la capacité de Solidarité Sida de porter un discours différent et à parler directement aux gens. Mon engagement m’apporte cette idée de me dire que même si c’est une toute petite goutte d’eau, ce sont 10 jeunes femmes qui ressortent avec plus de connaissances, qui assisteront à d’autres interventions plus tard, qui auront d’autres connaissances, mais cela aura permis de leur apporter un peu d’espoir et d’air frais. Et je trouve cela très bien quand 2 associations se rencontrent et démontrent leur capacité à travailler ensemble, à se dire que ce n’est pas chacun de son côté qu’on peut lutter contre un système, mais que c’est tous ensemble en se réunissant qu’on va y arriver. C’est assez efficace et plaisant quand cela fonctionne. La solidarité, ça marche !