Chaque année, Solidarité Sida met en place des actions de prévention et de soutien aux malades dans plus de 20 pays. Plusieurs fois par an, l’équipe des Programmes Santé & Solidarité de Solidarité Sida part en mission pour rencontrer les associations partenaires soutenues. Julie et Agathe reviennent d’une mission en Ukraine. Elles nous racontent.
Bonjour Julie et Agathe, vous revenez d’une mission en Ukraine. Pourquoi s’agissait-il d’une première fois ?
Agathe : Solidarité Sida a des partenaires en Ukraine depuis seulement 2 ans, suite à la volonté du conseil d’administration de soutenir des projets dans l’Est de l’Europe où la dynamique épidémiologique du VIH/sida et des hépatites est alarmante. Nous avons deux partenaires en Ukraine : Alliance Globale à Kiev qui a été créée en 2001, et La Kharkiv City Charitable Foundation (KCCF) « Blago » à Kharkiv qui a été créée en 2005. Il s’agit de deux associations installées depuis longtemps et très militantes.
Julie : Dans cette zone, nous ciblons les associations qui travaillent auprès des « populations clés », notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), les travailleur.se.s du sexe et les usager.e.s de drogues par injection. Ainsi, en plus de ces 2 projets soutenus en Ukraine, Solidarité Sida finance également un partenaire en Géorgie (à Tbilissi) et un autre en Russie (à Moscou). Tous ces partenaires proposent des activités de prévention et de dépistage, de soutien psycho-social et parfois médical, en parallèle d’un plaidoyer de lutte contre les discriminations. Contrairement à des centres de prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH soutenus en Afrique où le secteur public est défaillant en la matière, l’organisation des systèmes de santé en Ukraine est efficace pour les patients séropositifs.
Pourquoi la dynamique épidémiologique est-elle inquiétante en Ukraine ?
Julie : Il y a plusieurs explications à cette situation : il s’agit d’une région qui a organisé très tard son offre de dépistage, entraînant un nombre de contaminations important alors que d’autres pays proposaient déjà des réponses pour tenter d’endiguer l’épidémie. En effet, être dépisté et avoir accès à un traitement et voir sa charge virale diminuée limite considérablement les nouvelles contaminations. Par ailleurs, l’usage de drogues injectables est très répandu en Ukraine, et comme c’était le cas en France au plus fort de l’épidémie, le partage de matériel d’injection présente un risque de transmission particulièrement élevé. Enfin, le contexte est très discriminant envers les HSH, les usager.e.s de drogues et les travailleur.se.s du sexe, ce qui a pour effet de rendre clandestines les pratiques et d’entrainer une augmentation des prises de risques, et une augmentation des infections dans ces groupes de population. La prévalence du VIH est de 0,9% dans la population générale, mais de 7% pour les travailleur.se.s du sexe, de 8,5% pour les HSH et de 21,9% pour les usager.e.s de drogues. La question des trans est complètement invisible des programmes de lutte contre le VIH/sida et le déplacement de populations depuis les zones de guerre va certainement à court terme devoir être pris en compte dans les politiques de santé.
Quel était le but de cette mission ?
Julie : Tout en nous permettant d’avoir une connaissance plus fine du contexte sanitaire et social ukrainien, cette mission avait pour but d’assurer le suivi financier du projet, d’en évaluer concrètement la pertinence, et de mieux connaître nos interlocuteurs, la relation à distance et l’anglais n’étant pas toujours fluide. Les rencontrer facilitera donc la suite du partenariat et rendra plus simples les futurs contacts avec ces partenaires.
En quoi a consisté cette mission ?
Julie : Nous sommes parties 6 jours. Nous avons commencé par aller à Kharkiv, qui se trouve à 5h en train de Kiev à la frontière russe, pour rencontrer notre partenaire Blago. Nous avons rencontré le directeur, qui est également le fondateur de l’association. Il travaille au-delà du projet que nous soutenons auprès des prostituées, auprès d’autres publics, notamment les HSH, les jeunes délinquants, en détention ou sortant prison et les populations déplacées à cause des conflits dans le sud du pays. Blago s’apprête par exemple à ouvrir un centre d’accueil de jour qui leur sera dédié, où elles pourront se doucher et se poser. Même si c’est une thématique sur laquelle Solidarité Sida ne travaille pas directement, c’est un sujet intéressant et d’actualité qui traduit la réactivité de l’association pour répondre aux enjeux qu’elle rencontre.
Nous avons eu un programme assez dense à Kharkiv. Nous avons commencé par une réunion de suivi, puis l’après-midi nous sommes allées dans ce qu’ils appellent un « appartement » (il s’agit en fait d’une maison close clandestine). Après avoir été accueillies par la tenancière, nous avons assisté à une séance de sensibilisation aux risques liés au VIH/sida mais aussi aux IST auprès des 4 filles, majeures, qui travaillaient à ce moment-là. D’après l’équipe de Blago, les prostituées en Ukraine ne sont pas des victimes de la traite des êtres humains, mais des travailleuses du sexe indépendantes qui louent des chambres dans cet appartement. L’activité de prévention était très intéressante et adaptée à ce public, bien qu’au milieu de l’intervention, un client est arrivé et a demandé à voir 2 des filles qui se sont déshabillées et changées en sous-vêtements sexy et talons hauts. Il en a choisi une, l’autre est revenue dans le groupe, et a remis son jogging pour suivre la fin des échanges avec l’animatrice de prévention.
Ensuite, nous nous sommes rendues dans un centre dédié aux usagers de drogues injecteurs où nous avons longuement échangé avec les usagers présents, tous jeunes, qui nous ont parlé des discriminations dont ils font l’objet et des difficultés qu’ils rencontrent, notamment lorsqu’ils sont dépistés séropositifs au VIH ou aux hépatites. Ce centre propose un programme d’échange de seringues, de dépistage rapide et un appui psychologique et social, comme nous en soutenons en France ou dans d’autres pays.
Agathe : Le soir, de 23h à 1h du matin (l’équipe continuait jusqu’à 5h), nous avons participé à une maraude auprès de prostituées de rues, projet soutenu par Solidarité Sida. À bord d’un bus équipé d’une salle de consultation gynécologique, deux médiatrices et un médecin arpentent les lieux de prostitution de la périphérie de la ville jusqu’au centre. Dans le bus, les travailleuses du sexe peuvent accéder à du matériel de prévention (préservatifs, gel, brochures), des consultations gratuites et des dépistages rapides. En 2h, nous avons vu une vingtaine de personnes et 6 ont rencontré le médecin.
Enfin, le lendemain, nous avons visité leur centre dédié aux HSH, d’où ils coordonnent et préparent leurs actions de prévention de terrain. Nous y avons rencontré des bénévoles et l’équipe d’intervenants de terrain pour échanger sur les enjeux de la prévention en Ukraine (par exemple la PreP et les auto-tests, etc.) avant de nous rendre dans l’appartement d’un jeune gay, qui travaille dans le monde de la nuit et qui était présent avec 2 de ses amis. L’équipe de Blago avait été contactée pour réaliser une « action de dépistage en stratégie avancée », c’est à dire faite sur les lieux de vie de la communauté. Concrètement, un animateur de prévention échangeait avec les jeunes sur leurs pratiques et les sensibilisait aux risques liés au VIH/sida et aux IST, pendant qu’un second effectuait des dépistages rapides, dans la cuisine.
Sur cette partie de la mission, nous étions accompagnées par une bénévole ukrainienne traductrice russe/ français, ce qui nous a permis de gagner beaucoup de temps et de briser la glace très facilement.
Comment s’est passée la suite de la mission à Kiev ?
Agathe : À Kiev, nous avons rencontré l’association Alliance Globale qui travaille en particulier avec les HSH. Solidarité Sida soutient un projet de groupes de parole pour les HSH séropositifs. Ce groupe se réunit 3h tous les dimanches après-midi. Il est animé par un responsable d’activité, qui est un travailleur pair (c’est à dire qu’il est lui aussi concerné par les mêmes problématiques que les participants), et une psychologue. Les thématiques sont définies par l’ensemble des membres du groupe selon les intérêts et les besoins de chacun en termes d’échange d’expériences personnelles ou d’informations auxquelles des professionnels comme par exemple des médecins ou des juristes pourront répondre. Le sujet qui était traité ce jour-là était « l’annonce de sa séropositivité à ses proches ». Le groupe était composé d’une trentaine de personnes dont certains qui venaient pour la première fois. Nous avons été particulièrement impressionnées par le climat de confiance qui régnait, par la liberté avec laquelle chacun s’exprimait sans tabous, et par le respect de la parole de l’autre.
Le lendemain, nous sommes allées au local d’Alliance Globale pour discuter avec eux de leur association, de sa création, de comment les choses se passent aujourd’hui, de leurs perspectives d’évolution et des difficultés majeures qu’ils rencontrent principalement concernant les incertitudes liées à la poursuite du financement des activités par le Fonds Mondial de Lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Leurs principales actions étaient à la base orientées vers les HSH, mais ils souhaitent désormais s’orienter vers l’ensemble des populations clés.
Julie : Un médecin était également présent dans leurs locaux pour réaliser des tests de dépistage rapides, sans rendez-vous. Enfin, nous avons également échangé avec le responsable d’un service de santé spécialisé sur le VIH et avec un militant spécifiquement en charge du plaidoyer contre les discriminations.
Envisagez-vous de faire venir ces partenaires à Solidays ?
Agathe : Nous aimerions pouvoir les faire venir car il s’agit de personnes très engagées, demandeuses d’échanges avec d’autres associations qui travaillent sur les mêmes thématiques qu’eux. Ils ont regardé des vidéos du festival et adoreraient pouvoir y participer.
Julie : Même si on espère les inviter à court terme, cela risque d’être compliqué cette année, notamment parce que concrètement, ce n’est pas simple de gérer un groupe mixte francophones- anglophones. Nous envisageons plutôt de faire venir tous nos partenaires anglophones ensemble, une année. C’est un projet qui nous tient à cœur : il sera très intéressant qu’ils puissent parler aux médias et s’adresser aux festivaliers, car ce sont des voix et des témoignages que l’on entend rarement. L’année prochaine peut-être…
En résumé, qu’est-ce que cette mission a permis ?
Julie : Nous avons été hyper convaincues par nos partenaires, par la qualité et la pertinence des activités qu’ils mènent en général et bien sûr par celle des actions soutenues par Solidarité Sida, en particulier. Sur le fond comme sur la forme, cette mission a été très riche et nous sommes fièr.e.s de soutenir de telles structures et de si beaux projets.
Agathe : Et puis c’est une mission qui nous changeait beaucoup de nos autres missions, en Afrique notamment. Au-delà des différences de températures, les contextes d’intervention sont différents. Certains points sont en revanche similaires, notamment les discriminations dont sont l’objet les « populations clés » qu’on peut déplorer, malheureusement, dans chaque pays où Solidarité Sida soutient des projets.
En conclusion, nous pouvons dire que nos partenaires ukrainiens sont très structurés et professionnels, qu’ils abattent un travail considérable, pour apporter une réponse adaptée aux besoins de leurs bénéficiaires. Ils sont particulièrement bien identifiés par les autres associations et par leurs publics, marginalisés à cause de leur orientation sexuelle ou de leurs activités. Précurseurs dans leur domaine et acteurs clés de la lutte sur leurs territoires, ils sont l’un et l’autre très engagés et font une analyse très fine de leur contexte. Nous réfléchissons actuellement avec eux aux suites à donner à leurs projets, dont ils envisagent l’un et l’autre des évolutions intéressantes (une action vers les gays séropositifs qui sont dans le déni de leur statut et qui refusent tout suivi médical pour Blago, la location d’un appartement permettant la mise à l’abri les jeunes gays expulsés de chez eux pour Alliance Globale). Nous espérons que nous aurons l’occasion de retourner régulièrement en Ukraine pour suivre le développement de leurs activités et pour entretenir ce partenariat précieux.