Romane a 23 ans, elle est sourde de naissance et appareillée. Elle lit sur les lèvres, ses appareils lui permettent d’entendre et grâce à des séances d’orthophonie, elle s’exprime très clairement  à l’oral. L’an dernier, pour la 1ère fois de sa vie, elle est venue à un festival de musique avec un groupe de personnes sourdes. C’était à Solidays : ils ont adoré, elle nous raconte.

Bonjour Romane, peux-tu te présenter rapidement ?

J’ai 23 ans et je suis étudiante en prépa pour les concours de psychomotriciens. Je suis née sourde profonde et j’ai été appareillée des deux côtés à l’âge de 4 ans après l’on ait découvert ma surdité quand j’avais 2 ans. Ces appareils me permettent d’entendre dans la vie de tous les jours et je pratique la langue des signes. Grâce à des séances d’orthophonie intensives, j’ai appris à m’exprimer oralement et avec mes appareils auditifs, je récupère une qualité d’audition qui me permet de me corriger. En effet, il est difficile d’émettre des sons lorsqu’on entend peu ou pas, bien que les sourds ont de la voix.

Tu étais à Solidays l’an dernier, peux-tu nous raconter cette expérience ?

Depuis quelques années, j’ai un groupe d’amis entendants qui va chaque année à Solidays. Ils m’ont proposé plusieurs fois de venir avec eux, mais je n’ai jamais osé parce que je me disais que même si j’aime beaucoup la musique, je ne dois sûrement pas l’entendre de la même manière que les autres. Comme la surdité est un handicap de l’audition, j’appréhendais ce que j’allais pouvoir faire au festival et je n’ai jamais osé me joindre à eux. Mais quand l’année dernière, Solidays a proposé une accessibilité pour les sourds, j’ai foncé en me disant que j’allais enfin pouvoir découvrir la même chose que les autres. J’ai rejoint mon amie qui y va chaque année et nous en avons profité ensemble. J’ai découvert la musique et plein d’autres choses. J’ai beaucoup échangé avec les gens sur les stands du Village Solidarité : ils m’ont posé plein de questions car ils étaient très impressionnés que je sois très bonne au niveau du rythme. J’ai fait de la danse avec une prof de danse sourde qui m’a beaucoup appris à écouter le rythme et les vibrations. Quand je vais en boîte de nuit, on me dit que je danse bien et que je suis bien le rythme. À Solidays, nous avons beaucoup échangé avec les personnes qui découvraient le monde de la surdité. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est que je me suis rendu compte qu’avec mes amis entendants nous faisions les mêmes découvertes et que nous avions les mêmes plaisirs. C’est grâce à la présence des interprètes en langue des signes, qui nous ont fait découvrir autant de choses que les autres. Nous nous sommes sentis comme les autres, on en a profité comme les autres, et c’était tellement enrichissant. Je me suis vraiment dit que j’aurais dû y aller depuis longtemps.

Et tu étais avec un groupe de jeunes, sourds également ?

Nous étions un groupe, nous découvrions le festival et les organisateurs du festival nous ont proposé d’observer le test du dispositif d’accessibilité afin de leur dire ensuite ce qu’il faudrait améliorer pour rendre le festival accessible aux futurs festivaliers sourds. Avec le groupe, nous avons partagé le même plaisir à découvrir la musique, les expositions et les conférences traduites en langue des signes. Chacun a ressenti des émotions très différentes mais c’était un moment de partage très fort. On se disait que c’était génial que Solidays soit le 1er festival national à vouloir être accessible aux personnes sourdes, que nous allions vivre ensemble cette aventure. Bien sûr, on aurait pu venir depuis longtemps au festival, mais jamais la main ne nous avait vraiment été tendue en nous disant « n’ayez pas peur ». Car la réalité, ce n’est pas la musique qui vous rejette, c’est juste le manque d’accessibilité qui rend les choses compliquées. Nous avons juste besoin que les informations nous soient transmises en langue des signes. Avec cela, nous pouvons nous laisser aller et bercer par le festival.
Ensemble nous avons vécu tout cela et c’était un moment très très fort.

Dans ce groupe, il y avait des personnes qui n’étaient pas appareillées ?

Chaque personne sourde a une vie très différente. Certaines sont nées dans des familles de sourds avec des parents qui dès l’enfance communiquent en langue des signes, d’autres vont apprendre d’abord à parler et apprendront la langue des signes bien plus tard… Tout dépend de notre vécu, de notre motivation, de notre parcours de vie qui nous mènent à des chemins différents.

Cette année, vous allez tous revenir à Solidays ?

Tout à fait ! Avec le dispositif d’accessibilité de cette année, les 5 autres sourds et moi revenons, plus que jamais déterminés à faire découvrir toute la richesse de ce festival aux sourds ! Et nous voulons inciter toutes les personnes sourdes à venir, leur dire qu’elles ne seront pas seules, qu’elles seront accueillies, qu’il y aura des interprètes en langue des signes et les activités les plus pertinentes leur seront accessibles. Les sourds doivent se dire qu’ils auront la même information que tout le monde. Quand c’est ainsi, c’est plus facile de profiter pleinement des choses car c’est la méconnaissance qui n’incite pas à découvrir. Il faut que les sourds puissent être informés en langue des signes, et après, ils découvriront comme les autres la pertinence de Solidays.

Tu as un message que tu voudrais faire passer aux autres festivaliers ?

Malgré la surdité, on peut aimer la musique. Elle n’est pas réservée qu’aux personnes qui entendent. Parce que derrière la musique, il y a les vibrations, le rythme. Et à Solidays, il y a aussi les couleurs, l’animation. Nous les sourds, nous avons une sensibilité différente. Les gens ont tendance à penser que cela ne sert à rien que des sourds aillent à un festival de musique or il y a plein d’autres aspects par lesquels nous percevons une ambiance. Nous sommes très sensibles à la lumière, au mouvement, aux images… Et puis ce festival n’est pas seulement un lieu de musique, c’est un lieu où des conférences nous font découvrir des sujets en profondeur, où l’on peut échanger, apprendre sur plein d’actions militantes avec les bénévoles de multiples associations. Et enfin, danser devant des scènes géantes où nous ressentons fortement des vibrations, des rythmes. On en prend plein les yeux dans ce festival qui expose de couleurs, de joie, de liberté !

Pour conclure, quel est ton meilleur souvenir de Solidays ?

Pour moi, c’est l’ouverture d’esprit. Au Village Solidarité, toutes les équipes des associations étaient souriantes, avec beaucoup d’humour, les échanges étaient super riches, fluides et enrichissants. De même à l’Expo Sex In The City, le fait de pouvoir parler librement sans tabous de sexualité, c’était super pour nous et étonnant pour les bénévoles Prévention qui animent l’exposition car en LSF, les signes pour exprimer la sexualité sont très imagés, libres et osés !

 

Romane, Simon, Tiphaine, Pauline, Thomas et Jordan s'adressent à la communauté sourd